Le progrès sociétal : comment la gauche est devenue de droite

« Facho », « réac’ », « droitard », … Les noms d’oiseaux sont nombreux lorsqu’il s’agit de qualifier ceux qui daigneraient critiquer ce que l’on appelle maintenant le « progrès ». La théorie politique en est arrivée à un stade de débilité tel qu’il semblerait que l’on définisse politiquement maintenant les gens sur un axe – toujours droite-gauche – mais de manière pervertie. Fini le temps où les gens de gauche étaient étatistes et ceux de droite dérégulationnistes, un homme de gauche est désormais favorable au mariage pour tous, à la PMA, à la GPA, à la fin du patriarcat et j’en passe. L’homme de droite est lui obscurantiste, conservateur, presque totalitaire. Une vision par ailleurs détournée du totalitarisme puisque l’on se demande aujourd’hui qui impose quoi à qui… Mais passons. Comme l’avait vu l’ami Inglehart, le « postmatérialisme » domine aujourd’hui le spectre politique. Inutile d’étudier ici les raisons de ce revirement, Fukuyama, entre autres, l’a fait il y a trente ans. Le problème est que la notion de « gauche », et donc mécaniquement celle de « droite », ont été perverties.

L’on nous rabâche souvent que la gauche c’est l’égalité et que là droite c’est la liberté. Il faut néanmoins faire preuve d’une simplicité d’esprit déconcertante pour affirmer cela. Qui ne voit pas que trop d’égalité tue l’égalité ? De même que trop de liberté finit par l’entraver ? Dans le cas de l’égalité, à force de vouloir tout mettre sur un même socle du point de vue sociétal, l’on arrive fatalement à une situation dans laquelle certains vont parvenir à disposer de plus que d’autres pour une raison toute simple : le capitalisme. Comment, dès lors, peut-on lier un concept à un autre alors que le premier amène inexorablement à son contraire ? En plus d’un non-sens sémantique, c’est une profonde erreur axiologique.

Dans une société de classes, la volonté de toujours aller vers l’égalité, l’obsession de l’égalitarisme amène toujours au marché. Les libéraux l’ont d’ailleurs bien compris ; en se proclamant ni de gauche, ni de droite, ils se définissent plutôt de gauche et de droite, ou plutôt de l’égalité et de la liberté. Et pourquoi cela ? Puisque ces deux notions servent en réalité un autre concept bien plus large : celui de l’économie de marché. La droite et la gauche, utilisées de nos jours n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles sont essentiellement. La gauche a particulièrement pâti de cela puisque, quoi qu’en disent certains intellectuels, c’est bien la gauche qui a perdu la bataille sémantique car ce concept, originellement marxiste-léniniste et donc profondément anti-libéral, a renié toute opposition au libéralisme.

Pour revenir au lien entre mesures égalitaires et marché, la dialectique est simple. Utilisons le cas récent de l’ouverture à la PMA aux femmes seules et couples lesbiens. L’argument – l’unique argument d’ailleurs, ce qui est, s’il n’en fallait d’autres, une nouvelle preuve du vide idéologique de cette réforme – utilisé pour cela est celui de l’égalité. Mais à termes, lorsque n’importe quelle femme de 25 ans voudra avoir un enfant, les lois de l’offre et de la demande reviendront au galop. En effet, lorsque nous nous retrouverons dans une situation où il y aura plus de demandes de PMA que de quantité de spermatozoïdes disponibles, ceux-ci deviendront fatalement payants. Et qui pourra payer pour y accéder ? Les plus riches. L’égalité ne sera plus respectée. Bravo les artistes, l’échec est cuisant. On passera sur le cas plus poussé encore où, avec la levée de l’anonymat des donneurs, ce cas se produira encore plus rapidement. Inutile également d’évoquer la GPA qui est une incitation directe au marché, qui est même le stade paroxystique du capitalisme puisque l’être humain vend de manière directe son corps. L’on ne serait plus dans le cas marxisto-engelsien de la vente de la force de travail mais bien de la vente du corps, tout court.

Après avoir dit ça, l’on n’a toujours pas répondu à la question. Ainsi, la gauche serait devenue de droite. Le gauchisme ne serait donc en réalité qu’un libéralisme sous couvert d’égalité. Sauf que ce n’est pas ça la gauche. Si l’on se place dans la période charnière du clivage droite-gauche, c’est-à-dire après la Révolution française et avant 1924 et l’arrivée de Staline au pouvoir en Union soviétique, l’on comprend mieux. C’est lors de cette période que ce clivage est unanimement partagé par tous : la gauche c’est l’anti-libéralisme et la droite c’est donc le libéralisme. Les mêmes qui se prétendent aujourd’hui de Marx, de Lénine, de Saint-Simon et j’en passe sont les mêmes qui se déclarent favorables à toutes ces « avancées » (les guillemets sont importants) sociétales. Ils marchent donc pour un libéralisme sociétal et un interventionnisme social. Ces gens sont, au mieux terriblement naïfs, au pire profondément malhonnêtes. Le libéralisme, ou l’anti-libéralisme, n’est pas à la carte. Les politiques libérales économiques engendrent des politiques libérales sociétales et vice-versa, comme on a démontré précédemment que le marché est intrinsèquement présent dans les deux.

Ainsi, si l’on en revient au clivage structurant, être favorable à des politiques sociétales libérales tout en disant être de gauche est un oxymore. Soit l’on est un matérialiste et l’on ne peut vouloir que ces politiques à marche forcée soient adoptées, soit l’on est un homme hors-sol et se réclamer de l’étatisme est incohérent idéologiquement.

-Mathieu Tomé

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